top of page

Extrait d'Eve en Enfer...

L’automne est ma saison préférée. La nature se prépare pour un long sommeil de rêves chimériques et se pare d’un panaché de couleurs flamboyantes. Je vous propose cher lecteur de venir avec moi au parc... Vous comprendrez mieux ma passion d’automne.


Ce soir, nous avons de la chance, il est désert. J’adore cet endroit. C’est une sorte de forêt aménagée au cœur de la ville. Un véritable bouquet d’oxygène qui m’envoie presque qu’à chaque fois au septième ciel.


Le jour commence à tomber.

Les nuages chargés de bleu et de gris foncé menacent la ville.

Le vent se lève et me fouette le visage.

J’aime ça.


Avec un peu de chance, il devrait pleuvoir...


Je marche lentement, profitant de chacun de mes pas dans l’allée. Je traîne les pieds pour ressentir le frottement de la terre sous mes chaussures. Comme une gamine espiègle, je guette des tas de feuilles mortes pour leur balancer de joyeux coups de pieds.


Je ferme les yeux ; j’écoute.


Deux trois larmes de pluie me surprennent.

Tiens ! Il crachine sur Donjon.

Un doux parfum de mélancolie flotte dans l’air.

Je me sens heureuse... de tristesse.


A chaque instant, je fais une nouvelle rencontre : Ici un châtaigner, là, sur la droite, un marronnier. Une brindille craque sous ma chaussure ; mouvement dans le buisson, c’est une pie qui, surprise, s’envole.


Quant à moi, j’éveille mes sens pour faire corps avec chaque élément : l’eau, la terre, l’air et le feu...


Le feu ?


Il coule comme de la lave dans chacune de mes veines. Son foyer se situe au creux de mon ventre et brûle intensément.


Le ciel gris est de plus en plus inquiétant.

Je continue la balade.


C’est au cœur de cette forêt improvisée que se dévoile ma cathédrale à ciel ouvert. Il suffit juste de se rendre tout au bout de cette longue allée pour découvrir une placette aménagée par l’homme. C’est ma clairière, mon petit coin de paradis.


En son centre, l’arbre le plus beau qui puisse exister, un véritable prodige de la nature : Un chêne fort et majestueux, couleur rouge sang, se dresse fièrement. Son tronc, où s’est agrippée une fine mousse verte, est large et trapu. Ses branches, déployées en fouillis organisé, s’envolent vers le ciel. Sa cime est large et puissante. C’est sûr, c’est un dieu ! De gigantesques racines, robustes et profondes, ressortent par-ci par-là de la terre. Impossible de comprendre leurs routes et leurs destinées à travers le temps passé, elles s’emmêlent et s’enlacent, brouillant ainsi les pistes pour la promeneuse néophyte que je suis.


Le Chêne est haut et fort.

Le chêne est vieux mais il est rassurant et solide.

Le chêne est immortel.


Je l’aime passionnément.


Chaque jour, après le travail, je passe le voir. Aujourd’hui, j’ai le temps de prendre le temps et je vais faire mieux que de le regarder : je vais le sentir vivre ! Tremblante, je m’approche et le caresse doucement. Sous ma main, je sens l’écorce épaisse et rugueuse que le temps a modelée et durcie. Les yeux fermés, j’ai plaisir à découvrir chacune de ses rides, profondes.


Je le palpe,

le caresse,

le griffe,

le renifle.


Emouvante sensation.

Je dépose mes lèvres ardentes sur son manteau de bois.

Ce premier baiser offert à l’Arbre du Monde me bouleverse.


Mais soyons raisonnable et quittons cet arbre.

Allons-nous assoir sur ce banc.


Attention, il ne s’agit pas de n’importe quel banc! Celui-ci est particulièrement bien placé. Coincé entre deux buissons de laurier, il offre la possibilité de s’asseoir à l’abri des regards. C’est donc sur ce banc que nous profiterons du reste de l’après-midi.


Suis-je vraiment seule ?

Non.

Il y a vous lecteur, le chêne, la bruine et moi.


Laissons-nous aller...


Bruits de fond, j’entends la ville bouillonnante et exaspérante ! Grondements de moteur, coups de klaxon, ce sont les sons de la menace. Par un effort de concentration extrême, j’arrive à les gommer et je m’abandonne.


L’instant me renvoie à un morceau de musique enivrant et obsédant. Ravel, en créant le Boléro, cherchait à faire une simple étude d’orchestration. Ce morceau de musique uniforme et répétitif est pourtant particulièrement adapté à l’accompagnement d’une promise qui s’apprête à se donner.


Quand, subtilement, la bise d’octobre vient me reconnaître, j’entends résonner les premières notes dans un coin de ma tête.


Je la sens espiègle voulant jouer avec mes sens.

Par à-coups légers, elle tente de m’effleurer les mains et le visage.


J’ai compris.

Elle a besoin de me sentir.

Je me laisse donc approcher.


Je veux bien me soumettre et même me prêter à son jeu. Promis juré, je n’ouvrirai pas les yeux. Lorsqu’il s’agit de plaisir, le noir peut être excitant...


La bise a cette fois de l’audace ; sans doute a-t-elle senti que j’avais envie d’être prise par surprise ?


Elle tente une deuxième rencontre avec ma peau en s’enroulant autour de ma cheville. Joueuse, elle me surprend par un baiser furtif dans le cou puis, imprévisible, elle effleure à tour de rôle mes paupières et mon front.


J’en veux plus, encore et encore.

J’éprouve le besoin de la goûter.

J’entrouvre mes lèvres.

A la hâte, elle s’y engouffre.


Je la sens envahir ma bouche, refroidir ma langue, glisser dans ma trachée, soulever mes poumons.


La musique dans un coin de ma tête s’intensifie. L’entendez-vous, Lecteur ?


Ma peau, érogène, se contracte sous chacune de ses caresses.

La bise d’automne, légère et subtile, enfin vit en moi.

Je suis aussi légère et fraîche que le vent.


Je ris.


La bise se fait plus insistante, plus aguicheuse.

Elle me prépare pour l’ultime rencontre.


Montant crescendo, la bise se fait vent et se met à souffler de plus en plus fort, comme un tourbillon d’air qui prendrait confiance en lui.


Eole est là et se déchaîne.


Furieusement excité, il me veut, moi, sa promise! Il s’exalte dans mes longs cheveux bruns, qui, sous son emprise, accompagnent ce mouvement de folie.


Je l’entends courir, sauter d’arbre en arbre. Il les réveille, les agite, les secoue virilement afin que leurs branches, peuplées de feuilles froissées, battent la mesure de la passion d’automne.


Heureux et fier, il me charme en se faisant plus insistant, allant jusqu’à m’enlacer entièrement les jambes.


Et d’un seul coup, violent, il retrousse mon imper et ma robe.


Qu’importe qu’il soit grec ou romain, qu’il s’appelle Éole ou Zéphyr, je veux bien lui laisser entrevoir ma chair. C’est si bon lorsqu’il s’engouffre sous mes vêtements et qu’il caresse, de son souffle phallique, mes cuisses brûlantes de désir.


Je ne me fais pas prier plus longtemps, j’écarte les jambes.

Je me donne à lui sans concession, je suis libre comme l’air.


Il me pénètre de toute sa force, avec intelligence, subtilité et douceur...

Même le crachin se fait plus offensif. Chaque perle de pluie s’abat sur le sol de plus en plus fort.


Il tombe des cordes maintenant.


Chaque goutte glacée transperce un peu plus mes habits. J’aime ce contact de l’eau presque gelée sur ma peau ; c’est une douce violence. Eau, vent, j’adore me sentir ainsi lacérée.


L’eau dégouline sur mon front, mes paupières, mon nez et mes joues, mon cou... Je ne veux rien perdre ; je lèche mes lèvres trempées.


J’ouvre la bouche.

J’avale.


Je m’abreuve du sperme du ciel qui inonde mon être tout entier.

J’ai délicieusement froid ; mes bouts de seins durcissent.


Je suis mouillée...

Je pleure de joie.


J’ouvre les yeux.

Vision de folie : Entre la pluie battante et les feuilles qui s’envolent et tourbillonnent comme les danseurs d’un opéra tragique, les arbres se plient, les branches s’affolent. Et moi, je suis là.


J’ai froid, je frémis de plaisir.

J’étale mes bras sur le dossier du banc, je laisse tomber ma tête en arrière.

Je suis prête à me donner sans limites.


Le visage relevé, je m’offre au ciel et j’attends tout excitée qu’explose enfin ce désir singulier qui me tenaille le ventre.


Le chêne m’a sentie. Il s’agite lui aussi. Quelques unes de ses feuilles se décrochent et se mettent à tournoyer dans ce déferlement de frénésie. Nous faisons l’amour au vent, à la pluie, au froid qui nous excitent et me réchauffent...


Une sensation de puissance, d’énergie qui dépasse l’imagination, m’envahit.

Déterminée à connaître l’extase, je dois lâcher prise pour provoquer l’exacerbation de mes sens.


Mon souffle se fait plus rapide.


Zéphyr va et vient en moi et enlace mon corps prisonnier de ses rafales.

Je me laisse complètement porter et enivrer. Dans ma poitrine, mon cœur bat vite. Mon sexe est gonflé et humide. Je ressens chaque partie de mon corps résonner comme un instrument, réagir sous l’effet du désir. Ma peau est en demande, en besoin de caresses sensuelles.


Je frémis.

Je tremble.

Je vais jouir...


Roulement de pierres à quelques mètres de moi....


A qui appartient ce bruit ?

Qui ose troubler mon orgasme climatique ?


Est-ce vous lecteur ? Non c’est impossible. Vous êtes dans ma tête. Vous n’existez pas.


Pourtant, je tends l’oreille.

Je crois que ce sont des pas.

Un homme ?

Une femme ?


Quelqu’un tousse...


Non, c’est un homme...ou une femme très masculine!


Il pleut.


D’un geste vif, je rabats le revers de mon imper et je ne bouge plus.

Je sens une violente colère m’envahir.


Qui ose venir chez moi, dans ce parc public ?

Qui est cet individu qui me rappelle brutalement que j’appartiens aux humains ?


Je vais lui dire de dégager à ce fumier.


Je suis chez moi puisque je suis la seule à savoir jouir des éléments.

En silence, j’enrage.

Sans émettre aucun son, je l’insulte violemment.


Il pleut bon sang !

Dégage!


Au fond de moi, je suis certaine que l’individu en question est un homme. Ma raison reprend le dessus ; elle me dit que si je me laisse perturber, alors je me rabaisse à celui qui me trouble. Et çà, pas question, je ne le veux pas !


C’est sûr, il passera sa route.


Je tends à nouveau l’oreille comme une louve aux abois. Immobile, je deviens un curieux animal partant à la chasse. Je traque le moindre frottement, analyse le moindre bruit. Je ne l’entends plus, le doute s’empare de moi.


Où est-il ?

Et si j’ouvrais les yeux ?

Deux petites secondes et je les referme.

Ma vie ne peut en être bouleversée.

C’est sans risque.


Je cède enfin à ma curiosité.


Grossière erreur !

J’aurais dû les laisser fermés.




34 vues3 commentaires

Posts récents

Voir tout

La chose

bottom of page