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Vengeance...

Le seul "avantage" de la prison, c’est qu’on a l’impression de vivre une vie supplémentaire. Il y a l’avant l’incarcération, le pendant et l’après. J’ai été condamnée pour meurtre. A la base, je devais y rester vingt-quatre ans mais les psychiatres ont jugé que j’avais changé et que j’étais prête à réintégrer la société. Quand j’ai entendu le juge annoncer que ma peine était écourtée, j’étais assez fière de moi : Berner autant de monde à la fois, c’était du grand art ! J’ai réussi à les convaincre que je regrettais mon acte...La vérité, c’est que si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seule seconde ! Depuis que je suis dehors, je n’arrive toujours pas à me sentir libre. Je me sens toujours enfermée... Enfermée au cœur de ma vengeance. C’est pour ça que je suis montée dans ce bus : pour y mettre fin ! Ça fait seize ans que j’attends ce moment... ...Seize longues années pendant lesquelles j’ai ruminé, jour après jour, nuit après nuit. Pas une seule seconde, ma colère ne s’est tarie. Seize ans, c’est long pour terminer ce qu’on a commencé. Dans un petit quart d’heure, quand le bus me déposera au cimetière, j’en aurai presque fini. Il me suffira de chercher sa tombe et quand je l’aurai trouvé, je cracherai dessus après y avoir déposé la tête d’une « hirondelle » que j’ai moi-même décapitée. Seize ans que j’attends ce moment... Seize ans que j’ai tué Jean... Je me souviens, c’était l’été. Laissez-moi vous raconter, ça me fait tellement plaisir de partager ce « joyeux moment » : Ce matin-là quand j’ai ouvert mes volets, il faisait vingt cinq degrés. La journée avait pourtant bien commencé... Mais, rien à faire, je me sentais d’humeur bizarre. J’avais l’impression de m’être réveillée d’un étrange cauchemar. Je n’arrêtais pas de me poser cette question : « Que s’est-il vraiment passé pendant la nuit ? » J’avais beaucoup de mal à saisir si j’étais dans un rêve ou si j’étais dans la réalité. J’étais comme sonnée. Gelée ; je tremblais comme une feuille. Pour vérifier, j’ai tapoté sur le thermomètre. Il affichait, je m’en souviens très bien, vingt cinq degrés. Le soleil allait bientôt se lever. Tandis que mon voisin, veilleur de nuit, allait se coucher, moi je devais ranger et nettoyer cette maison... Désordonnée ? Disloquée ? Ça y est, ça me revient : « Ensanglantée » ! C’était curieux, à part cette sensation désagréable de froid, je ne ressentais rien. Pourtant, je me rappelle très bien avoir été...comment dire... Irritée ? Fâchée ? Non, la vérité serait plutôt furieusement enragée. Faut me comprendre : Ce n’était pas ma faute, c’était la sienne ! S’il avait vidé ses poches, jamais au moment de mettre sa veste dans la machine à laver, je n’aurais découvert ce petit bout de papier tout chiffonné. Ce qui m’agaçait le plus sur le moment, c’était le désordre. Plus je regardais l’état de la maison et plus la situation m’exaspérait. J’avais mis une telle passion dans la décoration de notre nid que de le voir dans cet état me rendait folle. Pourtant, si je voulais qu’elle reprenne son éclat d’autrefois, il devenait impératif que je me calme et que je me débarrasse de ce gros tas de merde. Je l’ai donc découpé méthodiquement de bas en haut. Curieusement, ce qui m’a posé le plus gros problème, ce fut ses bras (au niveau de l’articulation de l’épaule). J’ai cru que je n’y arriverais jamais ! Désosser un homme, c’est plus compliqué qu’un poulet et puis, ce qui est ennuyeux, ce sont les restes ! On ne peut pas jeter les restes n’importe où ! Je me posai alors cette question: Comment allais-je m’y prendre pour faire disparaître tous ses membres ? Soudain, par la grâce du diable sans doute, je réalisai : Des sacs !... Oui c’était ça...Il me fallait des sacs. Poubelles de préférence ! Car une vraie et bonne ordure se doit de partir dignement à la décharge ! « Mais où étaient-ils ces bons dieux de sacs ? » J’étais si perturbée que je n’arrivais pas à les retrouver. J’ai dû faire alors de gros efforts pour me remémorer où je les avais rangés. Et c’est comme ça que, subitement, ça m’est revenu : Je les avais mis en dessous de l’évier... juste à côté de son pied. (Veuillez me pardonner ce manque de précision, je ne sais plus très bien si c’était le gauche ou le droit qui gisait à cet endroit là.) Et un sac poubelle ! Un ! Un pied de connard emballé ! Quand j’y pense aujourd’hui, c’était fou : Tout ce bordel à cause d’une simple hirondelle. Et puis c’était exaspérant, je n’arrêtais pas de frissonner et de trembler! Nerveusement j’allais et venais entre le thermomètre et les membres qui traînaient sur le sol de la cuisine. Et à chaque fois, je faisais le même constat : la température ne baissait toujours pas. Je tentais de me raisonner en me disant que tout ça, finalement, n’était pas si grave. Je me trouvais même héroïque car, en le dépeçant comme un cochon, je luttais à ma manière pour la cause des femmes. Mais si je voulais m'en débarrasser pour que ma maison soit rangée dans la journée, il devenait impératif que je l'emballe avec méthode. Alors, tout en mettant ces morceaux de viande dans mes sacs poubelles, je ne cessais de me répéter que ce n’était pas ma faute et que c’était la sienne ! S’il avait vidé ses poches, jamais je n’aurais découvert ces quelques centimètres carrés griffonnés. 16 ans après, je me les rappelle encore, mot pour mot : 10 heures. Place du pigeonnier... Ton hirondelle qui t’aime. Pathétique ! Comment peut-on aimer au milieu des crottes de pigeons ? Conne ! A 10 heures place du pigeonnier ? 10 heures ce jour-là, si je m’en souviens bien, j’étais dans mon bain. Je m’apprêtais... pour LUI ! Lui qui, à la même heure, baisait son hirondelle. Déjà à 10 heures, il puait... ...Il puait la tromperie et le mensonge. Il m’a pris la tête, je lui ai coupé la sienne ! Et alors ? Après tout, c’est moi la femme trompée, abusée, escroquée. Face à une telle situation, il fallait bien trancher, non ? Un couteau de cuisine affuté, un dernier baiser dans le creux de son cou et hop ! Un coup ! Un seul. Bien planté entre les omoplates! Il n’a même pas crié, même pas pleuré. Il m’a juste regardé, étonné, pendant que je riais. Le sang a coulé le long de ses jambes. On aurait dit qu’il pissait dans son froc. Amusant, non ? Vengeance ! Simple vengeance de la femme humiliée. J’étais si fatiguée : Fatiguée de penser, fatiguée d’emballer ! C’est vrai, à bien y réfléchir, jusqu’à ce jour-là, je n’avais jamais tué d’homme, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs ! Un corps entier à emballer, morceau par morceau, jamais je ne m’étais imaginée le travail que ça représentait ! Et puis enfin, il y a eu le dernier sac poubelle. J’avais gardé le meilleur pour la fin : sa tête ! Je n’avais plus qu’elle à faire disparaître ! Mais au moment même où j’allais la mettre dans le sac, le téléphone a sonné... A la première sonnerie, je me suis dit : Où vais-je te mettre, tête sans cervelle? Deuxième sonnerie... Surtout pas d’emballement... Troisième sonnerie Une tête de pourri... Quatrième sonnerie... J’avais trouvé ! Enfin débarrassée! J’ai alors décroché, c’était sa mère : - Allo ? - C’est Paula. Je lui ai répondu laconiquement : - Bonjour Paula. - Quelque chose ne va pas ? - Non tout va bien... - Tu peux me passer Jean ? - Non. Ton fils a la tête coincée dans le vide-ordure ! - Dans le vide- ordure ? - Oui... il cherchait une hirondelle. Plus que quelques minutes et il va pouvoir la retrouver son hirondelle. Mais que sa tête parce que le corps, c'était tout de même compliqué à transporter...surtout dans un bus! Je suis une femme bientôt libérée qui finira sans doute sa vie enfermée !


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