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Photo du rédacteurMartine Marie

Pourquoi la vieille ne veut-elle pas mourir?

Première partie :


Mais bon dieu, qu’est-ce que j’ai fait au Ciel pour mériter ça ?

C’est quoi cet examen de passage?


L’ange de la mort n’en pouvait plus. Il tournait et tournait dans les tous les sens dans la chambre de la maison de retraite. Il était si exaspéré que ses ailes étaient en surchauffe ! S’il ne se calmait pas, il finirait calciné comme une saucisse grillée oubliée sur un barbecue en été.

Il tenta de se raisonner. Ça faisait une éternité qu’il demandait cette promotion, ce n’était franchement pas le moment de tout gâcher. Archange, c’était quand même un super poste ! Vraiment, il devait faire un effort pour se calmer en attendant que la vieille veuille bien clamser.


A vrai dire, il n’était pas le seul à en avoir assez d’attendre Aglaé: Ses enfants aussi ! Depuis plus d’un mois, tous les soirs, l’infirmière leur affirmait que c’était "le dernier". Nerveusement, ils étaient à bout. L’aîné s’était remis à fumer. La deuxième avalait tellement d’anxiolytiques qu’elle ressemblait à un zombie. Quant à la petite dernière, toutes les nuits, elle rêvait qu’elle étouffait sa mère avec un oreiller, si bien que même son psychiatre priait pour qu’Aglaé fût rapidement morte et enterrée!


Mais voilà, la vieille en avait décidait autrement. Non seulement, elle ne mourait pas comme prévu pendant la nuit mais, en plus, tous les matins, elle se réveillait fraîche comme un gardon et réclamait sa coupe de champagne ! C’est bien simple, elle s’accrochait à sa vie terrestre comme une moule à son rocher.


Tout le monde se demandait pourquoi la vieille ne mourait pas ! Oui, pourquoi?


L’ange qui avait repéré que les rêves d’Aglaé semblaient la revigorer décida de s’en mêler. Alors, dès que cette dernière eut les yeux fermés, il fonça direct au cœur de ses songes pour lui parler :


- Ma chère Aglaé, discutons un peu!


Mais Aglaé, tellement absorbée par son rêve fabuleux, ne l’entendit même pas.


Elle avait une trentaine d’années, des longs cheveux ondulés et des courbes superbes. Dans une somptueuse robe de dentelle anglaise, elle dansait, sur le parquet d’une scène de théâtre qui flottait en plein milieu de l’océan, un slow langoureux avec Geoffrey de Peyrac, le héros balafré de la marquise des anges. Alors que les étoiles scintillaient sur une mer argentée, Aglaé se laissait caresser.


Mais soudain, l’ange, bien décidé à ramener la vieille à la réalité, s’interposa entre les deux amants.


Aglaé, solidement attachée à son rêve, le prit pour un moustique. La bestiole se posa pile-poil sur le bout du nez du pauvre Geoffrey.Furieuse, Aglaé ôta son escarpin Louboutin et le lança de toutes ses forces à travers la figure du malheureux qui la regardait de son air niais.Fort heureusement, le « moustique » s’envola in extremis. Quant au héros, il tomba et coula comme Dicaprio dans Titanic quand, à la fin du film, il sombre au fond de l’eau.


Aglaé dans une sorte d’élan lyrique se mit à chanter :


L’amour est enfant de bohème

Il n'a jamais, jamais connu de loi,

Si tu ne m'aimes pas, je t'aime,

Si je t'aime, prends garde à toiiiiiiiiiiii!...


Quel spectacle !

Quel rêve !


Autour, les dauphins applaudissaient en claquant leurs nageoires l’une contre l’autre. Sur la scène, un vieux poulpe moustachu, assis dans un fauteuil de psychanalyste, fumait la pipe en répétant : « Mon ange, n’auriez-vous pas un problème sexuel ? »


Aglaé, elle, continuait de chanter à gorge déployée. Alors qu’elle attaquait le deuxième couplet, la saloperie de moustique profita de cette bouche grande ouverte pour y entrer. Elle le recracha aussi sec sur le parquet. Plein de bave, le pauvre ange était tout mouillé. Vraiment, il en avait assez de cette insupportable vieille rêveuse. Aussi, il la ramena illico presto dans la chambre de la maison de retraite.


C’est à ce moment-là qu’enfin Aglaé réalisa qu’elle flottait dans sa chambre avec un type étrange. Il avait le teint blafard, de grandes poches sous les yeux, une immense paire d’ailes et il portait une longue tunique noire. Un détail l’amusa cependant : son auréole. Elle clignotait !


L’Ange enfin put lui parler :


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Deuxième partie


- Bonjour Aglaé, je suis l’ange de la mort...


- Ca sent mauvais, vous sentez ? Une odeur de cochon grillé...


- Laissez tomber. Ce sont mes ailes qui ont failli cramer !


- Ah bon mais pourquoi ?


- On en parlera une autre fois. Vous savez qu’on vous attend là-haut ? Le paradis, ça vous dit?


L’Ange lui parla du tunnel merveilleux, de l’amour total et absolu, de la libération de la souffrance. Il cita même le nom de quelques illustres âmes qui peuplaient le paradis : Mozart, Einstein, Saint François d’Assise et même Léonard de Vinci. Il lui assura qu’elle retrouverait les siens et même son chien !


Mais rien n’y faisait. Aglaé, entêtée, refusait d’y aller. Elle, ce qu’elle voulait, c’était rester vivante ! Vivante !


- Mais enfin Aglaé, pourquoi vous vous accrochez ? Vous vous êtes regardée ? On dirait une vieille pomme toute fripée. Vous êtes tordue, malade, fatiguée. Non mais franchement, faudrait penser à y aller ?


- Non et re non!


- Et pourquoi ça ?


- Parce que je n’aime pas qu’on prenne les décisions à ma place !


- C'est-à-dire ?


- Je vais vous expliquer : Quand je suis arrivée dans cette maison de retraite, je n’avais pas l’idée de m’attarder. Ici, les vieux humains végètent en attendant de manger. Franchement, j’étais bien décidée à mourir vite fait bien fait.


Mais voilà, comme toujours, mes grandes décisions ne durent qu’un temps !... J’ai changé d’avis. Pour tout vous dire, je suis rentrée en résistance !

Faut dire qu’ils m’ont tous cherchée !


- Tous ? répéta l’Ange.


- Oui tous ! Enfants, amis, soignants. Ils ont décidé que c’était le moment pour moi de trépasser. Or, s’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on prenne les décisions à ma place.


Quand j’ai entendu l’infirmière téléphoner à ma fille pour lui dire que c’était la fin, ça m’a exaspéré. Je déteste qu’on se mêle de ma vie !... surtout quand il s’agit de ma mort. Moi, je meurs quand je veux d’abord. Merde alors !


A peine a-t-elle raccroché que j’ai décidé de résister.


Le premier jour, ils sont tous venus. Fallait voir, il y avait la queue! On se serait cru un jour d’affluence à la poissonnerie du marché. Manquait plus que des tickets.


Je les ai entendus pleurer, se moucher. Certains se sont même confessés !


Ils ont commencé à me toucher le pied, à m’effleurer la main et à me regarder avec un air entendu comme si, déjà, je n’étais plus. Ils murmuraient des : « On t’aimera toujours. Tu vas nous manquer, ne t’inquiète pas. Tout va bien se passer... ». Mais qu’en savaient-ils ?


A chacune de leur parole, ma colère grandissait et mes forces revenaient. Ils m’ont veillée une bonne dizaine de nuits ! Et un matin, alors qu’ils étaient tous épuisés, j’ai ouvert les yeux et j’ai demandé : « Champagne ! »


Si vous aviez vu leur tête ! C’était d’un drôle ! C’est bien simple, j’ai cru que la mâchoire de ma fille cadette allait se décrocher !


Au début, ils étaient fous de joie ! Mais ça n’a pas duré. Rapidement, ma vie de « miraculée » les a agacés. Faut dire qu’entre mes coupes de champagnes et les frais de la maison de retraite, c’est un budget ! Je dois vous avouer que, quand les bulles éclatent dans mon gosier, j’imagine mes enfants chez le notaire découvrant le testament : Elle a tout croqué !


Je vois bien qu’ils n’en peuvent plus... Ils sont comment dire... un peu tendus ! Dernièrement, j’ai surpris une conversation. C’était mon fils et ma fille qui se chamaillaient pour ma crémation.


Hector disait que ça ne servait à rien un cercueil capitonné pour finir brûlé. Que ça coûtait cher, que c’était de l’argent foutu en l’air. Charlotte, outrée, s’est alors mise à pleurer en disant qu’elle en prendrait un en bois précieux pour que je monte plus vite aux cieux. Quant à ma dernière, elle a carrément craqué et s’est mise à hurler !


Et puis il y a eu mon gendre. Ah celui-là, je ne l’aime pas ! Il y a trois jours, je l’ai surpris à jouer méchamment avec ma perfusion. Dans un sur-effort, je lui ai conseillé d’aller dehors. J’ai ajouté que s’il me tuait, je le hanterais. Epouvanté, il s’est mit à bégayer et m’a dit qu’il était vanné de toutes ces nuits à me veiller.


Ca m’a bien fait rigoler.


Mourra ?

Mourra pas ?

Il est vrai que je suis en bien mauvais état. Mais que voulez-vous, la vérité, c’est que j’aime la vie, un point c’est tout !


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Troisième partie :


L’ange n’en pouvait tellement plus qu’il décrocha son auréole pour la grignoter comme un bretzel. Entre ces sanglots, il répétait :


- J’en ai marre, plus que marre. Je crois que je vais rendre mon auréole.


- Euh, si je peux me permettre, ça ne sert à rien. Vous venez de la manger !


- Alors, je vais me suicider.


- Pas possible.


- Ah oui et pourquoi ça madame-je-sais-tout ?


- Parce que vous êtes déjà mort. D’ailleurs, je vous ferai remarquer que sinon vous ne feriez pas ce métier.


- Bon alors, qu’est ce qu’on fait ?


C’est alors que le vieux poulpe moustachu, tout droit sorti des profondeurs de l’océan, réapparut :


- Ma chère Aglaé, la première chose à faire, serait d’accepter la vérité !


- Taisez-vous et retournez dans les profondeurs, ordonna la vieille dame.


Le poulpe continua sur le ton d’un vieux professeur :


- Vous ne voulez pas y aller car vous avez, tout simplement, peur de vous laisser aller ! C’est ça la vérité !


L’ange releva la tête et lança dépité :


-Alors c’était donc ça ? Rien que ça ?


Aglaé souffla d’être ainsi démasquée. Elle se sentait comme une enfant qu’on aurait surpris le petit doigt plongé dans le pot de confiture.


- Eh oui mon Ange, perdre le contrôle, accepter de ne pas tout diriger, c’est peut-être la chose la plus compliquée pour notre Aglaé. Mais pourtant, il va bien falloir lâcher, n’est-ce pas Aglaé ?


Aglaé regarda l’océan. L’eau était claire et lumineuse. Elle savait que le poulpe avait raison. Elle lui déposa un baiser sur le front et sans un bruit regagna son corps affaibli.


Là, enfin, elle s’endormit et l’ange, qui avait reprit son éclat d’autrefois, l’emporta.


FIN!...


Lien à découvrir d’un artiste sur le thème de la vie, de la mort.

. N’oubliez pas de mettre le son :


https://www.thisiscolossal.com/2014/05/moving-on-stop-motion-ainslie-henderson/?fbclid=IwAR1V1R8uk4IGW7pVIh8-oCSwZiWG1CU9k55szs6v49RLttdSQsUxzOkAI20

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