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Photo du rédacteurMartine Marie

Plutôt crever que de mourir!

Il paraît que je bats tous les records : ça fait 375 jours que je suis en soins palliatifs. Dans le service, ils s'arrachent les cheveux ! D'habitude, ici les gens meurent rapidement. Ils ne restent jamais aussi longtemps ! Je crois que je les énerve !


Même mes enfants sont sur les nerfs. Faut voir leur tête ! Pire que la mienne ! C'est peu dire ! Quant à l'Ange de la mort, il reste assis au bout de mon lit à nettoyer nerveusement ses ailes. Depuis deux jours d'ailleurs, j'ai constaté que le pauvre chéri avait développé une série de tics et de tocs ! Si ça continue, je crois que je vais lui conseiller de suivre une thérapie !


Le problème qui se pose, voyez-vous, c'est que je n'ai plus du tout envie de mourir. Pourtant, quand je suis arrivée ici, je n'étais pas contre l'idée... Bien au contraire ! J'étais même bien décidée à me laisser aller.


Il faut dire que pendant des années, comme une athlète de haut niveau, je m'étais préparée : 20 ans de psychanalyse, 15 ans de recherche spirituelle et je ne vous parle même pas des livres de science que j'ai avalés les uns après les autres pour tenter d'accepter l'inévitable : la mort ! Détail amusant, j'ai, pendant tout ce temps, usé sept psychiatres ! Deux sont morts et un a fini à l'asile ! J'aurais dû mettre ça sur mon CV à l'époque : "Capacité exceptionnelle à pousser les psys vers la sortie".


Bref, après cette vie bien remplie, j'étais fin prête à passer de l'autre côté. Il faut dire que mon cancer m'a bien aidée.


Alors, sans doute, vous demandez-vous ce qui s'est passé pour que je change d'idée ?


Eh bien, un soir, alors que j'étais à moitié dans le brouillard, ce con de Gaston a eu la mauvaise idée de venir me veiller.


Gaston, c'est mon voisin depuis 28 ans. Lui et sa gentillesse, je ne les ai jamais supportés ! Gaston est un type que j'ai toujours eu envie de baffer. Je crois que si l'on s'était connus à l'école, je n'aurais eu aucun scrupule à le harceler. Il ne parle pas, il chuchote. Il ne rit pas aux éclats, il glousse comme une poule. Jamais un mot plus haut que l'autre. Il est toujours de bonne humeur. C'est le champion toutes catégories en sollicitude, en humanitude et en tous les autres mots en « ude » ! ... Bref, un tas de disciplines qui me sont complètement étrangères. D'ailleurs, je ne serais pas étonnée d'apprendre qu'en plus, il médite ! Je le verrais assez bien, assis en tailleur au milieu d'un groupe de nanas élevées au quinoa !


Soyons claire : je hais la gentillesse. Je déteste la guimauve. J'exècre la bienveillance et je vomis la tolérance ! Voilà, vous savez qui je suis : Hellébore Martin !


Mais revenons à ce cornichon de Gaston...


Quand il a su que j'étais à l'article de la mort, il a eu la bonne idée de venir à mon chevet ! Sans doute pensait-il qu'il pourrait m'aider à trépasser. Je suis sûre que ça devait le faire bander !


J'étais donc au fond de mon lit, vraiment au bout de ma vie. Mon corps entier n'était que douleur. Il ne me restait plus que quelques heures à vivre avant de m'éteindre à tout jamais. J'étais à deux doigts d'y arriver ! Et voilà que Gaston est arrivé !


Il s'est penché au-dessus de moi et là, j'ai senti l'odeur fétide de son haleine. Ça ne pouvait être que lui ! Seul Gaston sent à ce point le rat crevé. Il a posé sa main froide et squelettique sur la mienne et m'a dit sur un ton doucereux :


  • Ma petite Hellébore. Vous ne devez pas vous accrocher ainsi. Vous pouvez partir en paix. Bientôt, vous retrouverez votre famille adorée.


Ma famille adorée ? Merde ! Je n'y avais jamais pensé. Si je meurs, oui effectivement, il y a malheureusement des chances pour que je les retrouve ! Vision d'horreur !


Là, je me souviens très bien : j'ai ouvert grands mes yeux et je l'ai regardé intensément. Dans un sureffort, je me suis arrachée au chemin de la mort et j'ai articulé ces deux mots : "Crève, charogne !"


Il s'est redressé, m'a lâché la main (enfin !) puis m'a balancé : "Vous ne changerez jamais !" Vexé, il s'en est allé et moi je suis restée avec mon angoisse de tous les revoir : Tonton pédophile, mémé grosse tarte et tous les autres attardés qu'étaient mes aïeux dégénérés !


Cette vision cauchemardesque a eu l'effet d'un violent coup de fouet. Je me suis redressée illico et j'ai crié dans la nuit : "Vivante, je suis. Vivante je resterai à jamais ! Pas question de les retrouver"


Depuis j'ai repris, comme on dit, du poil de la bête. Alors même s'il y a des jours difficiles où mon grand âge se fait sentir, je lutte. Quand j'ai assez de force, je tricote des petits pulls pour les squelettes de la salle d'anatomie de l'école de médecine.


De temps en temps, tout de même, pour faire plaisir aux uns et aux autres, je fais semblant d'agoniser. Je ferme les yeux, je bave, je tremble... Les médecins s'affolent, mes enfants prennent la mine de circonstance quant à mon ange, il frétille tout joyeux de l'auréole, convaincu qu'il pourra enfin m'emmener.


Mais leur joie ne dure pas très longtemps car c'est tout de même très fatiguant de jouer une telle comédie... Même dans un lit ! Alors je reviens à moi et avec un grand sourire, je leur lance : "Champagne !"


J'ai entendu dernièrement une infirmière dire que j'étais infernale... Que je jouais avec leurs nerfs. Ça tombe bien car avec un peu de chance, ils iront tous au paradis avant moi et peut-être qu'à ce moment-là, j'accepterai enfin d'aller là-bas !

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