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Mortibus

Dernière mise à jour : 7 oct. 2021

Ce texte est la suite d’Ernest. C’est aussi un clin d’œil à Tim Burton et à Clovis Trouille !


Mortibus était complément déprimé. En attendant le client, il astiquait ! Son corbillard était si propre qu’on aurait pu se voir dedans !


De temps en temps, il s’arrêtait tout de même de frotter pour regarder le panneau publicitaire de cinq mètres sur dix qu’il avait installé à la dernière pandémie :


« Chez Pétrurier, la mort est un rêve doré ! »


Ce n’était pas rien quand même ! Franchement, avec un slogan pareil, qui n’aurait pas eu envie de se tuer, juste pour le plaisir de se faire enterrer ?


Cette crise COVID avait été une aubaine. Il avait investi comme jamais. En plus de ce gigantesque panneau publicitaire, il avait pu acquérir le petit bout de terrain d’à côté pour y entreposer ses pierres tombales ! Dès qu’il y avait un rayon de soleil, les lettres dorées scintillaient sur les marbres noir pailleté ! C’était une merveille !


Les chambres froides étaient tout confort. Et les salons !...Mon dieu les salons ! Fallait voir le chic des velours et des tentures ! Et je ne vous parle même pas des gros cierges en cire mauve sur lesquels étaient sculptées des colombes rose-orangé.


Mais ce dont il était le plus fier, c’était sans doute son jukebox « spécial souvenirs». « D’allumer le feu » de Johnny Halliday à « l’Ave Maria » de la Callas, chacun pouvait choisir son petit morceau de musique pour accompagner son deuil ! Personne ne sortait sans avoir pleuré au moins un litre et demi de larmes ! Vraiment, c’était du grand art !


On peut dire que Mortibus avait son métier dans la peau. De toute l’histoire de l’humanité, jamais un croque-mort n’avait été aussi doué ! Quand il sortait d’un soin mortuaire, il ne marchait plus, il flottait !


Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, l’heure n’était plus à la fête. Vous vous demandez pourquoi ?


Je vais vous le dire :


Non seulement, il n’y avait plus aucun malade du COVID mais en plus, des laboratoires pharmaceutiques avaient mis au point un vaccin contre le mort !Plus personne ne mourrait !


Plus de macchabées à enterrer, vous imaginez ?


Heureusement, de temps en temps, il y avait quand même quelques déprimés qui se suicidaient ou quelques têtes en l’air qui loupaient une marche d’escalier. Mais honnêtement, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat !Encore quelques semaines comme ça et Mortibus mettrait la clé sous la porte.


Les humains se dirigeaient tout droit vers la vie éternelle et, avant qu’ils ne meurent d’ennui, l’eau aurait eu largement le temps de couler sous les ponts !


Si on devait résumer sa situation, c’était une catastrophe, un effondrement, un séisme !


Bientôt, Mortibus serait comme les allumeurs de réverbères : Inutile, classé, disparu, foutu !


Alors, assis devant une table réfrigérée flambant neuve mais vide, il déboucha une bouteille de grand Ardèche pour noyer sa tristesse. Il but un verre, puis deux, puis trois…puis au quatrième, il leva les yeux sur le Christ en croix, accroché sur le mur.


Et là, ses pensées fusèrent à toute vitesse :


Plus de morts ?

Plus de bon Dieu, oui !…

« Bon »Dieu ?

Mon œil !

S’il avait était bon dans quoique ce soit, il n’aurait pas permis qu’un tel vaccin ait été trouvé !

Tout ça, c’était sa faute à lui !Il n’avait qu’à limiter les facultés intellectuelles des humains dès le départ !

Mais quel con !


Il conclut par : « Quand je serai mort, je lui foutrai mon poing dans la gueule ! »


Phénomène plus qu’insolite, le Christ sur la croix qu’il regardait, se décloua et sauta sur la table réfrigérée en se moquant du pauvre Mortibus qui s’essuyait la morve qu’il avait au nez.


Notre croque-mort n’en revenait pas ! Il écarquilla tout grand les yeux, puis se releva en titubant:


- Ah tu te fous de ma poire en plus ? Ben tu vas voir ce que tu vas voir ! M’en vais lui casser la gueule à ton paternel ! Espèce de fils à papa qui ressuscite en claquant des doigts !


Tandis que le petit Jésus faisait tomber son paréo en effectuant quelques pas de moonwalk sur la table, Mortibus fila droit dans le garage. Il trouva une corde solide qu’il accrocha à la poutre de l’entrée du magasin. Il fit un nœud coulant, installa son escabeau et monta !


C’était décidé : Non il n’attendrait pas la grande faucheuse, il irait carrément la chercher.


Une fois la corde au cou bien serrée, il se lança dans le vide. Au début, la sensation fut franchement douloureuse. Mais au bout d’une minute,après avoir gigoté comme un ver de terre électrifié, il ne ressentit plus rien du tout.


Il passa de la lumière au noir profond. Il se demanda si c’était parce qu’il n’avait plus d’yeux ou si c’était parce que le monde des morts était mal éclairé.


Enfin, il osa demander :


Est-ce que quelqu’un aurait l’amabilité d’allumer une lumière ? Il fait plus noir que dans le trou du cul d’une poule, ici !


« Que la lumière soit ! », rétorqua une voix lasse.


Mortibus fut d’abord ébloui puis au bout de quelques minutes, sa vue s’acclimata. En face de lui, il découvrit Saint Pierre qui faisait la sieste dans un hamac suspendu à deux nuages. Celui-ci souleva une paupière et dit nonchalamment au nouvel arrivé :


- Vous avez mal choisi votre heure pour monter au ciel, vous ! Tout le monde est en vacances. Je n’ai plus un seul ange pour vous emmener au paradis. Ça vous ennuierait beaucoup de repasser dans quelques siècles ? Allez visiter le purgatoire en attendant. C’est portes-ouvertes jusqu’à nouvel ordre ! Ce n’est pas le top c’est vrai mais vous ne vous ennuierez pas ! Je suis sûr que vous retrouverez quelques clients à vous ! Vous pourrez faire la causette !


- Faire la causette ? Que je repasse dans quelques siècles ? Mais vous plaisantez j’espère ! Vous croyez vraiment que je suis monté ici pour faire la causette avec des vieux clients ? Je suis là pour voir le bon Dieu. J’ai des choses à lui dire, moi,Monsieur !


Cette fois, Saint Pierre ouvrit les deux yeux. Il se redressa et répondit fermement :


- Impossible ! J’ai des consignes ! Interdiction de déranger le Boss jusqu’ à nouvel ordre !


- Écoutez, si vous ne me dites pas où je peux le trouver, je vous fais avaler votre trousseau de clés ! Mieux, je vous grignote l’auréole comme un bretzel !


Devant la détermination de Mortibus, Saint Pierre, qui avait envie de finir sa sieste, capitula. Il appuya sur un bouton en lui disant simplement :


- Bon… Puisque vous y tenez… Vous n’allez pas être déçu… Vous allez le voir, votre « bon » Dieu !


Mortibus se retrouva alors soudainement dans une gigantesque pièce qui avait pour plafond un ciel étoilé. Les murs étaient recouverts de plantes et de fleurs. Ici et là, des arbres dégueulaient de fruits. Il y avait des fontaines de vin où des anges, complètement ivres, se baignaient.


Partout, des hommes et des femmes s’enlaçaient, s’embrassaient. Mortibus, parmi une foule d’anonymes, reconnut quelques illustres personnages. Il y avait des philosophes, des peintres, des physiciens, des musiciens et beaucoup d’écrivains…


Mortibus, au milieu de cette orgie, se dit que Saint pierre avait dû lui jouer un mauvais tour. Il devait sans doute être en enfer ou quelque chose qui s’en approchait.


Soudain, quelqu’un lui tapota sur l’épaule en lui disant :


- Alors comme ça, tu me cherches ?


Dieu était là ! Mais ses envies de lui casser la figure fondaient comme neige au soleil. En clair : Il faisait moins le malin.


Dieu ajouta :


- Je sais pourquoi tu es là ! Plus de boulot, c’est ça ?


- Euh oui… Les hommes ont inventé un vaccin pour tuer la mort. Ils se prennent pour vous ! Faut vraiment faire quelque chose !


- Non.


- Avec tout le respect que je vous dois…Comment ça, non, demanda Mortibus ?


- J’avais prévenu que je ferais l’homme à mon image. Eh bien, le moment est venu pour moi de mettre les paroles en pratique ! Les hommes sont maintenant des dieux et moi, un homme ! Je rends mon tablier, tu comprends ?


- Pas bien, non…


- Ras le bol d’incarner la morale. Ras le bol de bosser toute l’éternité. Ras le bol d’être gentil et toujours poli. Ras le bol que les humains me glorifient. Moi ce que je veux, c’est profiter,boire, baiser et manger ! J’offre l’éternité en échange de ma liberté!


- Mais enfin, vous êtes le bon Dieu ! Vous ne pouvez pas faire ça !


- Je vais me gêner, tiens ! Et puis arrête avec cette dénomination ridicule. C’est vous les hommes qui avez écrit ma légende. Je n’ai jamais dit que j’étais « bon », moi ! Être Dieu, c’était déjà pas mal. Crois-moi !


Mortibus était défait ! Il s’attendait à tout, sauf à ça ! C’était vraiment une catastrophe. Dieu se comportait comme un adolescent attardé et, pendant ce temps-là, les humains allaient se multiplier et ils finiraient comme des rats trop nombreux sur un navire.


Il fallait qu’il fasse quelque chose… Mais quoi ? Sauver l’humanité, c’est quand même une tâche compliquée.


Il s’assit sur un coussin de mousse végétale et regarda, complètement affligé, le « bon »Dieu qui se faisait sucer par une blonde à forte poitrine, pendant qu’il roulait un patin à jeune homme imberbe !


C’était la décadence totale…Tout à coup, un groupe éméché, juste à côté de lui, le percuta. Parmi eux, Mortibus reconnut Descartes qui lançait, hilare, son célèbre : « Je pense donc je suis ! ».


« Je pense donc je suis ? »…« Je pense donc je suis… » Répéta en boucle Mortibus…


Mais voilà ! Il l’avait son idée pour sauver l’humanité ! Si Dieu existait, c’est parce que les hommes le « pensaient » comme « existant »! S'ils ne le pensaient pas comme "existant", Dieu s’effacerait. C'était évident! Seulement, c'était plus facile à dire qu'à faire....


Alors Mortibus réunit toute la force d’amour qu’il avait en lui. Il pensa à son grand père Ernest qui avait suscité sa vocation. Il pensa aussi à tous ces gens qu’ils avaient accompagnés dans le chagrin et à tous les humains qu’il aimait.


Il se concentra tellement sur l’amour qu’il ressentait pour les uns et les autres qu’il oublia tout ce qu’il y avait autour de lui. Quand il sentit cette force puissante en lui, il s’appuya sur elle. Puis il se focalisa sur une seule idée :Dieu n’existe pas !


Il répéta encore et encore, jusqu’à ce que sa voix résonne partout à travers l’espace :« Dieu n’existe pas ! Dieu n’existe pas ! »


Plus il répétait cette phrase, plus l’univers tremblait. Dieu et tout ce qui se trouvait autour de lui s’effaçaient progressivement dans un brouillard épais…


Mortibus ne vit rien de ce qu’il provoquait, il continuait inlassablement à répéter : « Dieu n’existe pas ! »


C’est une voix qui le fit revenir à la raison :


- Excusez-moi Monsieur. C’est qui Dieu ?


Mortibus ouvrit les yeux, il était de retour sur terre, assit sur la tombe de son grand père. Une dame qui passait par là le regardait, interloquée. Visiblement, elle n’avait jamais entendu ce mot : Dieu !


- Qui est dieu ? répéta Mortibus, vous ne savez vraiment pas qui c’est ?

- Non jeune homme. Jamais entendu parler…C’est un chanteur ?


Il regarda alors autour de lui… Plus une seule croix ! Plus un seul signe religieux !


Une bouffée de joie l’envahit : il avait réussi !


Moralité de l’histoire (s’il y en avait une à en tirer):

Si vous ne voulez pas être trop malheureux, évitez de trop croire en Dieu. Et si l’envie vous prenait de sauver l’humanité, commencez par l’aimer !





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