Tous les ans, avant d’entrer, je rêve qu’elle soit volée ou brûlée !
Mais non, quand je pénètre dans cette grande salle, je constate que mes prières n’ont pas été exaucées. Comme à chaque fois, elle est là. Elle attend !
Contrairement à moi, le poids des années n’a aucune incidence sur elle. Recouverte d’une jolie nappe, elle porte toujours merveilleusement bien son argenterie.
La table est dressée, prête pour ouvrir le bal...
... Le bal d’une danse bien macabre...
Les uns après les autres, les membres de la famille arrivent. Chacun prend un verre, un toast, debout, tout à côté d’elle. Elle qui, silencieuse, attend patiemment que nous venions nous attabler.
Et pour moi qui suis là dans mon coin, une coupe à la main, c’est toujours la même question qui revient me harceler : Où vais-je m’asseoir cette année ?
Quand j’y pense : il m’en a fallu du temps pour réaliser le cynisme d’une si grande tablée !
Je reconnais que les apparences sont trompeuses. En effet, il y a des rires, des retrouvailles et quelques vieilles rancœurs... Juste des histoires de cœurs.
J’ai commencé ma vie de convive, là-bas, tout au bout de cette table. Haute comme trois pommes, j’étais furieuse d’être ainsi retirée si loin des mes aînés. Je ne savais pas encore que, finalement, c’était la meilleure place que j’occuperais de ma vie.
Les années ont passé, j’ai poussé et on m’a suggéré de me déplacer. C’est quand j’ai dépassé le milieu que j’ai vraiment réalisé.
Cruel constat : Alors que je m’éloigne d’un bout, l’autre se rapproche dangereusement.
D’où je suis, j’observe :
A ma gauche, l’horizon est plein de rires, de vitalité et de jeunes femmes au ventre bien rond. En silence, je jalouse un peu l’insouciance de ma jeunesse perdue.
À ma droite, le paysage est plus tranquille, plus abîmé aussi par le poids des années.
Discrètement, je regarde les mains de mes compagnons de table qui s’agitent à côté de moi et, tristement, je constate qu’elles commencent à se flétrir depuis que leurs fleurs de cimetière ont éclos.
Et au loin, beaucoup trop loin, tout au bout, je vois mon père, assis, qui contemple affectueusement sa grande tablée.
Il ne frissonne pas, il ne se plaint même pas.
Et pourtant...
... Pourtant, il sait comme moi ce qui l’attend.
Il sait que lorsqu’il se lèvera, il ne reviendra pas.
Il y aura une chaise vide... une place à prendre...
Un jour, ce sera mon tour. Je m’assoirai sur cette chaise en frémissant, en sachant que bientôt, je me lèverai pour quitter définitivement cette grande tablée.
Au suivant !...
Eh bien voilà, j'ai les chevilles qui gonflent! Va falloir changer de chaussures!
Ben dis donc, Martine, te comparer à Brel, les Vieux, grandiose ! Génial ! Quel succès (mérité, Monsieur Perrin !)
Génial!
C'est aussi grandiose que la chanson de Brel: les Vieux.
La table remplace la pendule du salon...
Merci, toi aussi, à bientôt !
Soirée