Kim avait envie de changer d’air...
Comme les plaisirs de la terre étaient devenus assez tristes et ordinaires, elle décida de s’envoyer en l’air. Elle quitterait donc son monde tourmenté et s’envolerait !
Depuis toujours, elle rêvait de connaître le pays des merveilles. On lui avait dit que, là-bas, le plaisir était roi.
Elle prit son courage à deux mains et se mit à l’ouvrage. Elle construisit une montgolfière avec un gigantesque drap fleuri. Elle attacha celui-ci à l’immense panier en osier qu’elle avait volé à l’ogresse du quartier.
Elle s’installa dedans avec une gourde remplie d’eau de vie ainsi qu’une petite valise dans laquelle elle avait rangé les sourires de son chien, les rires des gosses du coin et quelques odeurs très chères à son cœur.
Avant de partir, elle vérifia qu’elle n’avait rien oublié puis tenta de faire monter son ballon. Pour y arriver, une solution : Avoir de l’inspiration !
Elle se mit donc à penser, cogiter, imaginer. Et quand sa petite cervelle se mit à fumer, elle prit une immense aspiration et expulsa dans le drap tous ses mots. Logiquement, l’immense bout de tissu devait se gonfler et le ballon se mettre à voler.
Hélas, les mots, ces indisciplinés, partirent dans tous les sens et le drap demeura tout raplapla sur le sol froid.
Kim, complètement dépitée, se laissa tomber au fond de son immense panier et se mit à pleurer. Mais soudain, elle entendit la voix de son voisin qui coupa net son chagrin. C’était un savant, un original, qui passait son temps à construire des tours d’argent qui s’envolaient avec le vent. Comment n’y avait-elle pas pensé avant ?
Si un humain sur cette terre pouvait l’aider à prendre l’air, c’était bien lui !
Ni une ni deux, elle frappa à sa porte. L’original savant l’écouta attentivement puis déclara, glorieux, que le mieux pour faire monter un ballon, c’était d’y mettre de l’amour, de la chaleur et beaucoup d’attention !
Amour, chaleur et attention... Kim répéta ses mots en boucle. Où pouvait-elle trouver tout ça ?
Dans son petit frère pardi !
- Dès qu’elle s’approchait de lui, elle entendait : « Kim attention ! »
- Dès que des femmes se penchaient sur lui, elles s’écriaient : « Quel amour !»
- Et en plus, merveille des merveilles, il était toujours tout chaud !
Non vraiment, il n’y avait pas mieux que cet asticot pour la faire monter là-haut. Elle alla donc chercher une paire de ciseaux, une aiguille et du fil argenté puis fila tout droit vers le berceau.
Là, son petit frère dormait paisiblement à poings fermés. Soigneusement, elle découpa sa petite poitrine, vola son cœur de soleil et y déposa une fleur avant de recoudre le charmant enfant.
Elle courut jusqu’à son ballon, enjamba le panier en osier puis lança le petit cœur tout chaud au fond du drap fleuri. Le cœur explosa en millier de faisceaux dorés et le miracle se produisit. Le drap fleurit se gonfla et le ballon s’envola.
Celui-ci fila direct vers le ciel. Kim, émerveillée, regarda la terre se réduire sous ses pieds. C’était magnifiques toutes ces formes géométriques.
Au cours de son ascension, elle dut éviter un rallye d’oies sauvages. En tête, elle crut apercevoir Nils Holgersson sur son jars.
Elle monta, monta et, en franchisant des petits nuages, se retrouva habillée d’une étrange robe de mariée qui, sous l’effet d’un joyeux vent frais, se désagrégea presque instantanément.
Puis au milieu d’un énorme cumulonimbus de 26 km de long, elle croisa Jésus-Christ sur sa croix. Le pauvre avait bien du mal à monter au ciel ! Celui-ci complètement cloué, tentait de progresser en donnant quelques coups de menton vers le haut.
Kim ne put s’empêcher de rire et de lui dire :
- T’es un peu con toi ? Fallait laisser ta croix en bas.
Le Christ la regarda surpris. Elle ajouta :
- Tu veux un conseil ? Arrête de croire au Père Noël ! Si tu veux monter au ciel, faut prendre des ailes.
Le plaisir étant plus léger que la douleur, le ballon de la petite fille laissa le pauvre malheureux sur place et continua de monter, monter, monter.
L’air se fit rare, Kim commença à recevoir des idées noires.
En réalité, c’était le fait d’un vilain cafard qui était monté par erreur dans le véhicule de fortune. Une fois en haut, il était sortit de sa cachette et en douce, centimètre par centimètre, il avait grimpé jusqu’à l’oreille de Kim et y était entré.
Il avait longé le conduit auditif, perforé le tympan, escaladé la trompe d’eustache puis par un étrange procédé, avait grignoté un bout de cervelle pour en faire un tunnel.
C’est comme ça que le cafard s’installa confortablement dans sa mémoire.
Elle repensa à son enfance...
Avait-elle bien fait de tout quitter ?
Kim, désespérée, grimpa alors sur le rebord du panier en osier pour sauter. Fort heureusement, une chenille qui passait par là sauva l’enfant. Elle chantonna une chanson si gaie au cafard que la bestiole se mit à agoniser.
Kim rentra alors dans le panier et fut sauvée.
Le ballon, dans l’immensité de la voie lactée, continua à flotter.
La chenille, doucement, entoura l’enfant d’une membrane de soie et quelques années plus tard, enfin le ballon se posa au pays des merveilles.
L’enfant se réveilla et sortit de sa chrysalide.
Elle avait grandit ; elle était belle.
Là, dans ce pays de volupté, elle apprit le goût des baisers et la subtilité d’une caresse donnée.
Son voyage venait en fait de commencer...
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