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J'ai assassiné le temps.

Hier, assise sur un banc, j’ai rencontré le Temps.

Si j’avais su ce qui allait se passer, j’aurais continué mon chemin.


Le soleil se mirait dans l’eau calme de la rivière, les nuages glissaient paisiblement vers l’horizon tandis qu’un merle, surpris, s’envolait des jasmins.


Appliquée et ravie, je gobais chaque image que mes yeux avaient le temps de voler. Je suis restée là, complètement immobile, plantée sur ce banc, espérant ainsi me fondre dans cette nature bouillonnante.


J’ai tendu l’oreille. C’est le vent, le premier, qui m’a parlé.

Je l’ai bien entendu sauter d’arbres en arbres, taquiner le laurier et le peuplier.


Oui, je jure que c’est vrai.


Puis il y a eu ce couple d’hirondelles... Sous mon nez qu’elles sont passées !

Moi qui aurais tant aimé voler.

Je les vois encore piailler et virevolter.


Plus je les regardais et plus la joie m’envahissait.

Je ne pouvais plus rien contrôler : j’étais HEUREUSE !


Voulant profiter pleinement de ce printemps, j’ai donc fermé les yeux.

Je crois qu’à ce moment-là, déjà, je n’étais plus moi-même.


Comme un animal, j’ai flairé et traqué chaque odeur que le vent transportait.

Entre l’herbe fraîche, le lilas et un chèvrefeuille tout juste en fleurs, mes narines se sont affolées.


J’ai humé l’air jusqu’à m’enivrer.

Je me suis nourrie de ces effluves printaniers.


Et là, au cœur de l’exaltation, tout a basculé : Pour la première fois, j’ai réalisé que je vivais.

OUI, JE VIVAIS !


... Mais pour combien de temps ?...

...Pour combien de printemps ?


Alors j’ai appelé le Temps et il s’est assis un instant sur le banc.

Je lui ai demandé de rappeler ses armées : horloges, montres et pendules.

Je lui ai dit aussi que tous avaient été de bons et braves soldats mais qu’il était urgent qu’ils cessent le combat.

Je lui ai expliqué que jamais je n’avais cherché la guerre. Qu’elle m’avait été brutalement imposée.


Et il m’a demandé : Mais pour qui te prends-tu de vouloir arrêter le temps ?

Je lui ai répondu : Pour toi ! Je suis qui tu es, c’est toi m’a faite.


Il a ri puis s’est enfui.

Humiliée,

Trahie,

Je suis restée seule sur ce banc au milieu du printemps.


Doucement, lentement, tel un venin, la colère s’est propagée dans mon corps.

Folle, j’ai tendu mes bras très haut vers le ciel et j’ai hurlé !


Hurlé jusqu’à ce que ma rage soit telle que les éléments se déchaînent.

L’eau, le Feu et l’Air vivaient en moi.


Plus mes larmes coulaient, plus la pluie s’abattait.

Plus mes cris résonnaient et moins les oiseaux chantaient.

Plus ma révolte sortait et plus les arbres se pliaient.

A bout de force, je suis tombée à genoux et j’ai ouvert les yeux...


...Les jasmins et le tilleul était anéantis, peuplier et laurier étaient brisés, l’herbe fraiche était dévastée et une hirondelle était morte à mes pieds.


Qu’avais-je fait ?

Dans mes pensées égoïstes, je ne m’étais pas contentée de ralentir le temps, je l’avais tout simplement anéanti !


Il m’a fallu cela pour comprendre que la vie ne peut être belle que si elle est en mouvement.

Que seule l’impermanence peut donner une raison véritable à la vie.


Parce que la plus grande absurdité n’est pas de la quitter un jour, l’absurdité est de ne pas la vivre.


Mais voilà, j’ai créé le néant...je suis là où il n’y a plus de mouvement et j’attends que revienne le temps.

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