Adresse: 16 rue pasteur.
Heure du drame: 18h00.
Docteur, je suis fou !
Je vous en supplie : Enfermez-moi!
Protégez-moi de çà !
Vous ne la voyez pas et pourtant elle est là, en moi.
C’est l’horreur, je vis avec la peur.
Pas celle qui s’amuse à envoyer une petite angoisse passagère, ni celle qui évite de mettre la main sur le feu...
... Non, je vous parle de LA peur, la véritable peur. Cette salope, perverse, qui tétanise, qui vous fait perdre la tête, qui vous fait trembler, pleurer, vomir, hurler ! Celle que l’on ne peut jamais contrôler.
Je m’emporte c’est vrai.
Mais comprenez, je n’en peux plus de vivre avec elle...
Vous savez, avant de venir dans votre cabinet, j’ai décortiqué le sujet. Je me suis même beaucoup documentée : "La peur est un sentiment que l’on crée de toutes pièces ! C’est un moyen que l’humain utilise, inconsciemment, pour se protéger." Soit disant que c’est une forme d’anticipation sur les événements qui nous angoisseraient.
Très théorique tout ça, vous ne trouvez pas ?
La vérité Docteur, quand on souffre de la peur, c’est comme si l’on offrait la vie à une créature destinée à nous terrifier, à nous bouffer.
Contrairement à ce que l’on pense, plus le monstre est gros et moins il est dangereux : Tout simplement parce que ça le rend identifiable. Dans ces cas-là, on peut se cacher, l’esquiver...
Mais voyez-vous Monsieur, ce qui complique mon cas, c’est que ma peur à moi, je ne la connais pas! Elle ne porte pas de nom, n’a pas de visage, ni même de substance. Elle est juste là et me fait faire n’importe quoi, sans que je comprenne pourquoi.
Ma peur, c’est le genre de créature perfide qui, tapie dans les abîmes de mon inconscient, attend patiemment le moment propice pour apparaître et envahir tout mon être. Je ne sais pas ce qui la fait surgir, je ne sais pas non plus comment l’endormir.
Docteur aidez-moi.
Protégez-moi de çà !
J’ai l’impression qu’elle s’est infiltrée dans mes veines comme un poison. Puis doucement, jour après jour, le venin faisant son effet, elle me paralyse et me fait perdre la tête.
Sa tactique est efficace, imparable.
Lentement, très lentement, elle déguste mes pensées les unes après les autres. Je suis devenue sa proie, son esclave et son repas.
Il suffit d’un mouvement, d’une parole, d’un regard pour la faire surgir. Elle bondit en moi comme une chienne affamée. Il m’arrive de sentir ses crocs aiguisés sur ma gorge, ses griffes plantées au creux de mon ventre. Cette charogne m’emporte toujours un peu plus loin dans les profondeurs de mes pires cauchemars.
Docteur, si vous ne faites rien, si vous ne m’écoutez pas, vous savez ce qu’il va se passer ? Je serai obligé de la tuer !
Comment ?
Regardez, j’ai déjà tout calculé... Un instant s’il vous plaît.... C’est dans mon sac...Quel bordel là-dedans !
Voilà !
Il est beau n’est-ce pas ?
Il est armé bien entendu !
J’ai piqué çà à mon con de beau-frère : un ancien militaire ! Il bosse depuis deux ans maintenant dans une armurerie. Je crois qu’avec ce flingue, je vais m’en sortir : je vais lui faire la peau !
Que je le range ?
Vous êtes malade Docteur ?
Savez-vous que j’ai eu un mal fou à le voler, cet engin ?
Je pleure, c’est vrai, mais c’est les nerfs qui lâchent...
Vous donner ce pistolet ?
Pas question !
Faites pas cette tête, dès que j’arrêtai de trembler, je la tuerai.
La bête de la peur, c’est moi ?
Ah...
...Silence...
Vous avez raison Docteur ! D’ailleurs, je n’ai presque plus peur...Vous êtes vraiment un bon docteur ! Regardez, je ne tremble plus... j’arrive à mettre ce canon dans ma bouche et...
...Silence...
Il est 18h00 rue pasteur, un coup de feu...un seul : la bête de la peur n’existe plus...
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