Depuis des semaines, le soleil irradiait.
Ce disque parfait éclatait en une multitude de flèches incandescentes qui fusaient à travers l'espace pour se planter, telles de très fines aiguilles, dans les pores de cette terre stérile. Hadès devait être aux commandes et prenait un malin plaisir à transformer ce paradis terrestre en véritable enfer.
Au milieu des dunes de sable, malgré tout, Johanne avançait.
Elle marchait depuis si longtemps qu'elle ne se souvenait même plus de la raison qui l'avait poussée à traverser ce désert.
Pourquoi s'était-elle engagée dans cette épreuve ?
Pourquoi n'avait-elle pas fait demi-tour tant qu'elle le pouvait encore ?
A bien y réfléchir, elle se demandait parfois si elle avait connu autre chose... Les arbres, les oiseaux, les rivières, l'océan, les fleurs et les vergers étaient enfermés dans son esprit comme un songe dont elle se rappelait vaguement quelques bribes.
Même les humains, elle se demandait s'ils existaient vraiment ! Alors, elle se raisonnait en se disant qu'elle n'avait été enfantée ni par la lune, ni par la voie lactée. Héra, de son sein, avait engendré une nuit noire et des milliards d'étoiles mais jamais on avait entendu parler qu'une humaine était née de la colère de cette déesse furieuse.
Quand le silence du désert était trop pesant, elle le rompait en se mettant à parler. Ça lui permettait aussi de vérifier que ses cordes vocales fonctionnaient encore.
En écoutant sa voix, elle avait l'impression qu'une étrangère parlait à sa place. Quelqu'un serait-il entré dans son corps sans qu'elle s'en aperçoive ? Si les questions se bousculaient, les réponses, elles, s'étaient perdues dans l'immensité de cette terre inhabitée.
Chaque pas était une épreuve. Il ne lui restait dans sa gourde que quelques gouttes d'eau. Elle les conservait comme un trésor.
Ses jambes, pourtant si fines, pesaient des tonnes. Le soleil, brûlant, lui cramait la peau. Sa gorge, son palais et sa langue étaient sèches comme cette foutue terre dont elle ne voyait pas le bout.
Tout en marchant, elle se demandait pourquoi elle ne s'arrêtait pas. De toute façon, elle allait mourir à un moment ou à un autre. Alors pourquoi continuait-elle d'avancer ? Pourquoi s'obstiner ?
Son esprit n'en avait pas la moindre idée.
Seul son cœur savait...
D'ailleurs, il n'allait pas tarder à lui parler.
Le soleil allait se coucher. Des traînées de rouge et de rose-orangé s'entremêlaient. Le ciel était si beau que Johanne, même assoiffée et épuisée, trouva le courage de lever la tête pour le contempler.
Mais la chaleur écrasante eut raison d'elle et elle se laissa tomber sur le sable doré comme un foulard de soie.
Elle sombra dans un état étrange, à mi-chemin entre rêve et réalité. Tout était flou quand soudain un homme apparut.
Était-il vraiment réel ?
Nul ne le sait...
Elle vit d'abord ses yeux.
Ils étaient bleus.
Il était beau comme un dieu.
Son visage n'avait pas d'âge.
Il lui ouvrit délicatement la bouche et approcha la sienne. Il y déposa quelques gouttes de salive qu'elle avala. Elles étaient si fraîches qu'elle eut la sensation de retrouver le goût de l'eau qu'elle buvait à la fontaine de la vallée des merveilles.
Ces quelques gouttes provoquèrent en elle un tel émoi qu'une larme coula doucement le long de sa joue.
L'homme la lécha puis l'embrassa, la caressa. Elle sentit son souffle frais sur sa peau brûlée. Elle se tortilla, se cambra et chercha ses lèvres à nouveau. Elle but encore et encore. Son corps se souleva dans les airs comme une plume légère. Elle quitta le désert dans les bras de cet amant qu'on appelait vent. Entre deux nuages, ils flottèrent ; s'aimèrent.
Elle n'avait plus besoin d'eau, elle était eau.
Elle devenait enfin ce qu'elle était : Fontaine, nuage et rosée.
L'homme-vent enfonça son sexe dans l'orchidée et la pénétra.
Elle le reconnut enfin.
C'était pour lui qu'elle marchait.
C'était pour lui qu'elle avançait.
Depuis toujours, elle le cherchait.
Le plaisir fut inouï.
Elle jouit... encore et encore.
Elle explosa de joie ; elle exulta.
C'est à ce moment précis qu'il se produisit une chose étrange : Comme une étoile qui explose, elle se désagrégea. Tous les atomes dont elle était composée se détachèrent les uns des autres. Pourtant, elle n'était pas morte et se sentait même plus vivante que jamais.
Elle comprit alors qu'elle ne pourrait trouver l'éternité que dans le verbe aimer.
Sur ce verbe d'amour, elle se réveilla, l'homme n'était plus là.
Elle se releva et se remit à avancer. Mais cette fois elle savait pourquoi elle marchait : Un homme, quelque part dans ce désert, l'attendait. Elle devait le trouver...
En un peu plus de deux ans, ma vie et mon être ont beaucoup changé. Le corps s'est calmé, l'esprit danse plus lentement. Te lisant, chère Martine, je réalise que l'on peut (presque) vivre d'amour et d'eau fraîche.
- "Elle comprit alors qu'elle ne pourrait trouver l'éternité que dans le verbe aimer" Tout est dit, parfaitement illustré dans une telle envolée sensuelle que l'on croit avoir partagé, comme une preuve en écho à notre propre vécu... Qui n'a pas, un jour, éprouvé de telles émotions ?...
Un texte particulièrement réussi: poésie, mythologie, imaginaire, métaphore(s), du moins selon ma lecture, et délicatement sensuel.
Je pèse mes mots, Martine, un très beau récit !